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Grande distribution : quand le bio devient une variable d’ajustement

Grande distribution : quand le bio devient une variable d’ajustement

Grande distribution : quand le bio devient une variable d’ajustement. Depuis 2021, l’inflation a profondément bouleversé les habitudes de consommation. Si les Français continuent d’afficher une conscience écologique croissante, leurs choix sont de plus en plus dictés par des impératifs économiques. Dans ce contexte, on aurait pu espérer que les grandes enseignes, en tant qu’acteurs majeurs du système alimentaire, maintiennent leurs engagements en faveur de la bio. Il n’en est rien. C’est ce que révèle une enquête récente de la Fondation pour la Nature et l’Homme (FNH), consultée par France Inter, qui dresse un constat sévère : la grande distribution a, dans sa majorité, tourné le dos au bio dès les premiers signes de repli du marché.

Entre 2020 et 2023, les ventes de produits biologiques en grande surface ont chuté de 12 %. Si cette baisse peut en partie s’expliquer par une conjoncture économique défavorable, la FNH pointe surtout un désengagement structurel des distributeurs. Aucun des huit principaux groupes français ne fixe aujourd’hui d’objectifs chiffrés clairs en matière de bio, alors même que certains, comme Leclerc ou Intermarché, affichaient des ambitions fortes avant la crise. Cette volatilité des engagements interroge : comment bâtir un modèle agricole durable si les distributeurs eux-mêmes n’offrent ni visibilité ni stabilité aux producteurs ?

Une offre qui se réduit, des prix qui explosent

Le rapport souligne un recul marqué de la disponibilité des produits bio en magasin : jusqu’à 25 % de références en moins entre 2022 et 2023 selon les enseignes. La bio n’est pas seulement moins visible, elle est aussi moins accessible. Dans certaines enseignes, l’écart de prix entre produits bio et conventionnels dépasse 70 %. Cet écart, jugé excessif, reflète des marges peu transparentes, voire opportunistes. À l’inverse, des enseignes plus engagées arrivent à limiter cette différence à moins de 60 %, prouvant qu’une politique volontariste permettrait de rendre la bio plus démocratique.

Pour Marie Rapaud, chargée de mission à la FNH, ces constats illustrent un abandon progressif mais assumé : « Trop peu de bio dans les rayons, des prix dissuasifs, et des messages publicitaires qui valorisent d’autres catégories de produits. » La grande distribution n’aurait pas seulement subi une baisse de la demande ; elle l’aurait amplifiée par ses choix stratégiques.

Biocoop : la bio engagée

Dans ce paysage contrasté, un acteur tire son épingle du jeu : Biocoop. Alors que la majorité du secteur recule, l’enseigne coopérative a vu son chiffre d’affaires grimper de 8,5 % en 2024, atteignant 1,658 milliard d’euros. Cette progression est d’autant plus remarquable qu’elle s’inscrit à contre-courant des tendances générales. Mieux encore : la croissance de Biocoop repose sur une augmentation de la fréquentation en magasin et une légère hausse du panier moyen, signes d’une fidélité renouvelée et d’une confiance durable.

Avec 740 magasins, Biocoop détient aujourd’hui près de 46 % du marché du bio spécialisé en France. Ce leadership n’est pas seulement commercial : il est aussi politique et culturel. L’enseigne a fait du vrac, du local, du réemploi et de la transparence ses piliers. En 2024, plus d’un tiers de son offre était constituée de produits en vrac ou avec emballage réutilisable. Là où d’autres cherchent des leviers marketing, Biocoop construit une relation de long terme avec les consommateurs… et les producteurs.

Repenser notre modèle alimentaire

Le contraste entre la stratégie des grandes enseignes généralistes et celle de Biocoop met en lumière une évidence : l’avenir du bio ne tient pas qu’aux arbitrages budgétaires des ménages, mais surtout aux choix stratégiques des distributeurs. Quand la bio devient une variable d’ajustement face aux crises, c’est tout l’écosystème agricole qui vacille.

La loi d’orientation agricole fixe un objectif de 21 % de surfaces agricoles en bio d’ici 2030. Pour y parvenir, la FNH estime qu’il faudra doubler la part du bio dans la consommation à domicile, la faisant passer de 6 à 12 %. Cela implique de renforcer l’offre, d’en réduire les prix, mais surtout de garantir une continuité d’engagement.

Pour une distribution alignée avec les enjeux écologiques

À travers ses recommandations, la FNH appelle à un changement de cap : fixer des objectifs chiffrés, rendre les prix plus transparents, valoriser le bio dans la communication, et ancrer un objectif de 12 % de parts de marché bio dans la loi. Des propositions de bon sens, mais qui nécessitent une volonté politique – et économique – forte.

En somme, Biocoop montre qu’une autre voie est possible : une voie où la rentabilité n’est pas antagoniste de la durabilité, où les crises ne justifient pas l’abandon des engagements, et où l’alimentation devient le levier d’un projet de société plus sobre et plus résilient.

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