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Kard rejoint le cimetière des néobanques françaises

Kard néobanque liquidation

La liquidation judiciaire de Kardly, société éditrice de l’application Kard, marque un nouveau chapitre dans l’hécatombe des néobanques françaises. Une histoire symptomatique des fragilités structurelles d’un secteur en pleine consolidation.

La fin annoncée de Kard

Le 11 septembre 2025, le tribunal de commerce d’Évreux a prononcé la liquidation judiciaire de Kardly, la société éditrice de l’application bancaire pour adolescents Kard. Cette décision met fin à l’aventure d’une néobanque qui avait pourtant réussi à séduire plus de 200 000 utilisateurs depuis son lancement en 2019 par Scott Gordon et Amine Bounjou.

Les clients disposent d’un délai jusqu’au 11 novembre 2025 pour récupérer leurs fonds, une période transitoire accordée par la justice pour éviter que les usagers ne perdent leur argent. Cette situation d’urgence rappelle brutalement aux utilisateurs de services bancaires numériques que l’innovation n’est pas synonyme de stabilité.

La cessation des paiements remonte au 1er mai 2025, soit quinze jours seulement après la rupture brutale du partenariat avec Okali, la plateforme de Banking-as-a-Service du Crédit Agricole. Le passif exigible s’élève à près de 267 000 euros, sans aucun actif immédiatement disponible pour honorer ces dettes.

Une reprise avortée malgré les promesses

L’histoire récente de Kard illustre parfaitement les difficultés du secteur. À l’été 2024, l’entreprise avait déjà été placée en redressement judiciaire avant d’être rachetée par un duo de repreneurs comprenant Éric Lassus, cofondateur et ancien CEO de Treezor, et Julien Delamorte, CEO de Handsome. Les nouveaux propriétaires avaient présenté un projet ambitieux : multiplier par dix le chiffre d’affaires et atteindre le point d’équilibre en 2026.

Après la reprise, l’équipe dirigeante avait effectivement réalisé un travail remarquable sur le plan technique. Kardly avait repris le contrôle de son infrastructure technologique et recrutait 2 000 familles par mois début 2025. « Nous avions amorcé un cycle de croissance très prometteur à peine quatre mois après le redémarrage », expliquait Éric Lassus au média spécialisé Mind Fintech.

Mais cette embellie fut de courte durée. La défaillance en cascade des partenaires technologiques a finalement eu raison de cette tentative de redressement, démontrant que dans l’écosystème complexe des néobanques, la dépendance aux prestataires externes constitue un risque systémique majeur.

L’engrenage fatal des dépendances technologiques

La chute de Kard résulte d’un enchevêtrement complexe de responsabilités entre plusieurs acteurs du secteur bancaire numérique. Cette affaire met en lumière les fragilités inhérentes au modèle du Banking-as-a-Service, où la défaillance d’un seul maillon peut entraîner l’effondrement de toute la chaîne.

Le désengagement de Bankable

Tout commence fin 2024 lorsque Bankable, le fournisseur britannique de core banking system, utilise le changement de contrôle de Kard comme prétexte contractuel pour résilier son contrat. Cette plateforme technologique, pourtant pionnière du Banking-as-a-Service en Europe, était elle-même en difficulté financière. Entrée en procédure de redressement judiciaire au Royaume-Uni en mai 2025, Bankable cumulait un endettement considérable et des pertes nettes de 10,9 millions d’euros en 2023.

Les repreneurs de Kard tentent alors de négocier une sortie ordonnée, envisageant même l’acquisition d’une licence perpétuelle ou la reprise de la plateforme technique. Ces discussions n’aboutiront jamais. Kardly finit par obtenir en justice le code source de Bankable et parvient à reprendre le contrôle de son infrastructure technique, un exploit dans des délais contraints.

Le coup de grâce d’Okali

Mi-avril 2025, nouveau coup dur : Okali, la plateforme de Banking-as-a-Service du Crédit Agricole, notifie à Kardly la résiliation immédiate de leur partenariat. La justification invoquée ? Le non-respect de la réglementation de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Pourtant, lors du jugement en référé du 13 mai 2025, le tribunal constatera l’absence de preuves documentées de ces manquements.

Le tribunal reconnaît un « dommage imminent » et un « trouble manifestement illicite » pour Kardly, ordonne la suspension des effets de la résiliation et condamne Okali à verser 5 000 euros. Mais cette victoire juridique arrive trop tard. L’activité est déjà paralysée depuis le 1er mai, date à laquelle Kardly cesse de pouvoir honorer ses factures.

« C’est la défaillance d’un partenaire critique sur la chaîne qui nous contraint à arrêter l’activité, alors que nous devions lever des fonds », regrette Éric Lassus, qui annonce des actions judiciaires pour obtenir réparation du préjudice subi.

Le cimetière s’agrandit : Morning, Helios, Pumpkin et les autres

L’échec de Kard s’inscrit dans une longue série de disparitions qui témoignent de la fragilité du modèle des néobanques françaises. Chacune de ces histoires révèle des problèmes structurels similaires : sous-capitalisation chronique, modèle économique fragile, dépendance technologique et, souvent, des investisseurs incapables d’assurer la pérennité des projets.

Morning : l’échec du partenariat avec la Maif et Edel

Lancée près de Toulouse avec l’ambition de révolutionner la banque mobile, en ayant réussie à obtenir une indépendance réglementaire et technique, mais la néobanque s’est rapidement retrouvée en difficulté malgré son succès. La Maif avec un projet interne concurrent (feu Nestor), et une volonté de ne pas nuire à ses camarades bancaires, décide de plus accompagner la néobanque.

La Maif, actionnaire principal, offre la néobanque à la Banque Edel, filiale du groupe E.Leclerc. Celle-ci convaincu de sa réussite évidente, injecte plus de 10 millions d’euros pour concurrence néobanque de Carrefour (feu C-Zam). Exit le projet de néobanque grand public : Morning devient une simple plateforme en marque blanche pour la grande distribution. En mai 2021, Morning est dissoute sans liquidation, son patrimoine étant absorbé par la Banque Edel.

Helios : de la carte en bois à l’absorption par Younited

Helios représentait un cas différent : une néobanque « verte » créée en 2020 par Maeva Courtois, qui finançait exclusivement des projets liés à la transition écologique. Avec sa carte bancaire en bois et ses 40 000 clients, Helios s’était forgé une identité forte dans le paysage bancaire français. Pourtant, malgré cette différenciation et plus de 10 millions d’euros levés, la structure restait déficitaire et peinait à trouver son équilibre économique.

En mai 2025, Younited, le spécialiste du crédit à la consommation fraîchement introduit en bourse, annonce l’acquisition de l’intégralité du capital d’Helios. L’opération, présentée comme un rapprochement stratégique, masque une réalité plus prosaïque : Helios cherchait à lever des fonds supplémentaires et n’y parvenait plus. Les actionnaires d’Helios, qui avaient misé sur une fintech verte et responsable, se retrouvent actionnaires d’une société cotée via un SPAC basé aux îles Caïmans. L’ironie est saisissante pour une banque qui prônait la transparence et l’engagement environnemental.

Pumpkin : quand le Crédit Mutuel Arkéa abandonne

L’histoire de Pumpkin illustre l’échec d’une stratégie bancaire traditionnelle face aux géants de la fintech. Rachetée en 2017 par le Crédit Mutuel Arkéa avec la promesse d’en faire une néobanque pour les 18-28 ans, Pumpkin avait pourtant tous les atouts : 1,6 million d’utilisateurs, un savoir-faire reconnu dans les paiements entre particuliers, et l’engagement d’investir 15 millions d’euros sur trois ans.

En juin 2022, à peine cinq ans après son rachat, le groupe annonce la fermeture de Pumpkin pour la fin de l’année. La justification officielle ? L’impossibilité de trouver « un modèle économique stable et pérenne permettant d’atteindre une taille critique, faute d’un niveau de commissionnement suffisant ». Traduction : face à la concurrence féroce de Lydia et autres acteurs européens comme Revolut, Pumpkin n’était pas rentable et le groupe préférait couper les vivres.

Les 56 salariés se voient proposer des reclassements au sein du groupe. Le 21 décembre 2022, Pumpkin ferme définitivement. Les fondateurs Constantin Wolfrom et Hugo Sallé de Chou, qui avaient cédé 80 % du capital en 2017 contre la promesse d’un développement ambitieux, assistent impuissants à la fin de leur création. Cette fermeture s’inscrit dans une vague de désengagement du Crédit Mutuel Arkéa de ses participations fintech : Leetchi, Mangopay et Budget Insight avaient déjà été cédés auparavant.

Les raisons d’une hécatombe

Pourquoi tant de néobanques françaises échouent-elles ? L’analyse des différents cas révèle des problèmes récurrents qui dépassent les simples difficultés conjoncturelles.

Un modèle économique structurellement fragile

La plupart des néobanques reposent sur un modèle où les revenus proviennent essentiellement des commissions d’interchange (perçues lors des paiements par carte) et des abonnements. Or, ces sources de revenus sont notoirement insuffisantes pour couvrir les coûts d’acquisition client, les investissements technologiques et les charges réglementaires. Sans diversification vers des produits plus rémunérateurs comme le crédit ou l’assurance, l’équation économique reste insoluble.

Pour Morning, Pumpkin ou Kard, le constat est identique : malgré des communautés d’utilisateurs importantes, les revenus générés ne permettaient pas d’atteindre la rentabilité. Le modèle gratuit ou quasi-gratuit qui a séduit les premiers clients devient un boulet financier dès qu’il s’agit de scaler l’activité.

La dépendance technologique, un risque systémique

L’affaire Kard met en lumière un problème majeur : la dépendance aux prestataires de Banking-as-a-Service. Pour obtenir rapidement un agrément et lancer leur service, de nombreuses néobanques s’appuient sur des partenaires pour le core banking system, l’émission de monnaie électronique ou la conformité réglementaire. Cette externalisation crée une vulnérabilité critique : la défaillance ou le désengagement d’un seul partenaire peut paralyser totalement l’activité.

Le règlement DORA (Digital Operational Resilience Act), applicable depuis janvier 2025, tente de répondre à ces enjeux en imposant des obligations de continuité d’activité et en interdisant aux plateformes de BaaS de se décharger de leurs responsabilités contractuelles. Mais pour Kard, ce cadre réglementaire renforcé arrive trop tard.

Des investisseurs incompétents ou désengagés

La liste des échecs révèle également un problème récurrent : l’incapacité ou le refus des investisseurs d’assurer le financement nécessaire jusqu’à la rentabilité. Éric Lassus lui-même, pourtant présenté comme un expert du secteur après son passage chez Treezor, n’a pas réussi à sauver Kard malgré une reprise prometteuse. La Maif a lâché Morning en pleine ascension. Le Crédit Mutuel Arkéa a abandonné Pumpkin dès que le modèle s’est révélé plus difficile que prévu.

Ces désengagements rapides témoignent d’une approche court-termiste où les investisseurs ne sont pas prêts à supporter les pertes nécessaires pendant la phase de construction d’une véritable banque. À titre de comparaison, des acteurs comme Revolut ou N26 ont brûlé des centaines de millions d’euros avant d’atteindre des échelles critiques. Les néobanques françaises, elles, sont souvent abandonnées dès les premières difficultés.

Une concurrence écrasante

Le marché français est saturé. BoursoBank, Revolut et N26 totalisent à eux seuls plus de 16 millions de clients. Ces mastodontes bénéficient d’économies d’échelle considérables et de capacités d’investissement hors de portée des acteurs locaux. Pour les nouveaux entrants ou les petits acteurs, conquérir des parts de marché devient mission impossible sans différenciation forte et moyens financiers importants.

Les tentatives de différenciation par le créneau (adolescents pour Kard, écologie pour Helios, jeunes actifs pour Pumpkin) se heurtent à la réalité : ces niches sont trop étroites pour générer suffisamment de revenus, et les géants peuvent facilement les attaquer avec des offres dédiées dès qu’elles deviennent intéressantes.

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Que retenir de ces échecs ?

Les liquidations successives de Morning, Kard, les fermetures de Pumpkin et d’autres acteurs, ainsi que l’absorption d’Helios, dessinent un paysage inquiétant pour l’innovation bancaire française. Le secteur semble condamné à osciller entre deux extrêmes : soit l’échec pur et simple, soit l’absorption par des structures plus importantes capables de supporter les pertes initiales.

Pour les clients, ces épisodes rappellent une vérité fondamentale : l’innovation et le design séduisant ne garantissent pas la solidité financière. Avant d’ouvrir un compte dans une néobanque, il est désormais essentiel de vérifier sa santé financière, son actionnariat et son modèle économique. Les garanties sur les dépôts (100 000 euros) protègent l’épargne, mais la fermeture d’un établissement reste une expérience perturbante.

Pour l’écosystème français, le constat est amer. Alors que le pays regorge de talents et d’entrepreneurs créatifs, le secteur bancaire reste dominé par les acteurs traditionnels et quelques champions européens. Les tentatives de créer des alternatives françaises se sont heurtées à des obstacles structurels : réglementation contraignante, sous-capitalisation, concurrence internationale et, trop souvent, manque de vision à long terme des investisseurs.

Le règlement DORA et l’évolution de la régulation bancaire apporteront peut-être plus de stabilité au secteur du Banking-as-a-Service. Mais pour les acteurs déjà tombés, il est trop tard. Kard, Morning, Pumpkin et les autres resteront dans les mémoires comme les symboles d’une ambition française qui n’a pas su trouver les moyens de ses ambitions.

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Que faire si vous êtes client de Kard ?

Action urgente : Les clients de Kard ont jusqu’au 11 novembre 2025 pour récupérer leurs fonds. Il est impératif de vider son compte avant cette date limite pour éviter tout risque de perte.

Démarches à effectuer :

  • Transférer tous les fonds vers un autre compte bancaire
  • Annuler tous les prélèvements automatiques et virements programmés
  • Informer les tiers (employeur, organismes sociaux) du changement de coordonnées bancaires
  • Ouvrir un compte dans une banque établie avant la fermeture de Kard
  • Conserver tous les documents et relevés pour d’éventuelles réclamations futures

Après le 11 novembre, toute récupération de fonds nécessitera des démarches judiciaires longues et incertaines. Le temps presse pour les 200 000 utilisateurs concernés.

Conclusion : la fin d’une illusion ?

L’histoire de Kard et des autres néobanques françaises disparues pose une question fondamentale : le modèle de la néobanque est-il viable en France ? Ou assistons-nous simplement à une consolidation naturelle d’un secteur arrivé à maturité, où seuls les plus capitalisés et les mieux positionnés survivront ?

La réponse se situe probablement entre les deux. Le secteur bancaire numérique a besoin d’innovation et de concurrence pour continuer à évoluer et servir les clients. Mais cette innovation doit désormais s’appuyer sur des fondations solides : capitaux suffisants, modèle économique éprouvé, infrastructure technique robuste et vision à long terme.

Les entrepreneurs français ont démontré leur capacité à créer des services bancaires modernes et attractifs. Reste à trouver les investisseurs capables de les accompagner jusqu’au succès, sans céder à la tentation de l’abandon au premier obstacle. Car dans le cimetière des néobanques françaises, chaque tombe représente non seulement un échec entrepreneurial, mais aussi une occasion manquée de bâtir un champion national de la finance digitale.

Article publié le 1er octobre 2025 – Les clients de Kard ont jusqu’au 11 novembre 2025 pour récupérer leurs fonds.

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