Assurances éthiques : peut-on vraiment assurer autrement ? Dans une société où le moindre pan de notre quotidien semble soumis à des risques, de l’habitation à la santé en passant par l’automobile , l’assurance apparaît comme une évidence, plutôt une nécessité contrainte. Pourtant, rares sont celles et ceux qui s’interrogent sur ce que deviennent les cotisations versées chaque mois. Dans l’ombre, ces milliards alimentent parfois des logiques destructrices : investissements dans les énergies fossiles, la spéculation financière, ou encore des entreprises socialement controversées. Et si assurer autrement devenait un levier puissant pour accompagner la transition écologique et sociale ?
Repenser la fonction de l’assurance
Le principe même de l’assurance repose sur la mutualisation : chacun cotise, et les risques sont partagés. À l’origine, ce modèle solidaire servait à protéger les plus vulnérables. Mais au fil des années, la logique de marché a transformé cette fonction sociale en industrie du risque rentable, gouvernée par des actionnaires souvent très éloignés des territoires qu’elle assure.
Aujourd’hui, de nouvelles formes d’assurance réapparaissent, fidèles à l’esprit originel : transparence, coopération, ancrage local et respect des limites planétaires. Ces acteurs de la transition, encore marginaux mais en plein essor, veulent faire de l’assurance un outil au service du bien commun.
L’ombre des investissements destructeurs
Ce que peu d’assurés savent, c’est que leurs cotisations ne dorment pas. Les fonds collectés sont investis, et ces placements façonnent notre économie. Or, les plus grandes compagnies d’assurance figurent encore parmi les principaux financeurs de l’extraction pétrolière, du charbon, de l’aviation ou de projets d’infrastructures destructeurs pour les écosystèmes et les communautés locales.
Ce décalage criant entre la fonction sociale de l’assurance et ses impacts économiques réels rend indispensable une prise de conscience : où va l’argent que je confie à mon assureur ?
Des alternatives en action
Face à cette opacité, plusieurs structures émergent avec une volonté de rupture :
- L’Altriane, en cours de développement, propose un modèle d’assurance collaborative où les membres mutualisent les risques dans une logique de transparence et de confiance, sans recherche de profit.
- Ethias (Belgique) met en œuvre une politique d’investissement responsable, excluant les entreprises violant les droits humains ou détruisant l’environnement.
- Des coopératives locales expérimentent des systèmes de micro-assurance solidaires à l’échelle de quartiers, de communes ou de bassins de vie.
Ces initiatives, encore peu connues, partagent un objectif : rendre le pouvoir aux assurés, en leur permettant de choisir des placements alignés avec leurs valeurs, et de participer aux décisions stratégiques.
Vers une sobriété assurantielle ?
Et si la véritable révolution ne résidait pas seulement dans l’éthique des assureurs, mais aussi dans notre rapport au risque ? Dans une société sobre, la sur-assurance pourrait céder la place à des pratiques préventives, communautaires et résilientes.
Cela suppose :
- De favoriser la réparation plutôt que le remplacement.
- De mutualiser les biens (voitures, outils, logements de vacances…).
- De renforcer les solidarités locales, afin que la réponse au risque ne soit plus seulement individuelle, mais collective.
Certaines communautés rurales ou quartiers en transition expérimentent ainsi des formes d’auto-assurance locale, où les sinistres sont pris en charge par des fonds de solidarité alimentés par les habitants eux-mêmes.
Il est également essentiel d’interroger la nécessité même des biens à assurer. Assurer un quad en montagne, sauf à en avoir un usage professionnel, ce n’est qu’un véhicule récréatif, dévastateur et bruyant.
Exiger la cohérence, pas le greenwashing
De nombreuses compagnies se parent aujourd’hui de termes flatteurs : « engagée », « responsable », « durable »… Mais il ne suffit pas d’utiliser un vocabulaire éthique pour l’être réellement. Ce greenwashing assurantiel repose souvent sur de simples campagnes de communication, sans engagement concret ni audit indépendant.
Il est donc fondamental de questionner :
- La structure de gouvernance : l’entreprise est-elle détenue par ses adhérents ? Par des actionnaires ? Les assurés ont-ils leur mot à dire ?
- Les critères d’investissement : les capitaux sont-ils orientés vers la transition écologique, la santé, l’habitat social, l’agriculture durable ?
- La transparence : l’entreprise publie-t-elle ses choix financiers et ses partenaires ?
L’assurance comme outil politique
Choisir une assurance n’est jamais neutre. Ce geste banal du quotidien peut devenir un acte militant. Refuser de contribuer, même indirectement, à la destruction du vivant. Soutenir des structures qui font le choix de l’humain, du long terme, de la coopération.
Dans le contexte de crises multiples – écologique, sociale, énergétique – l’assurance, comme la banque, peut devenir un levier décisif de transformation. Mais cela suppose de sortir du réflexe consumériste, et d’interroger la finalité même de ce que l’on protège.
Assurer autrement, ce n’est pas seulement changer de prestataire. C’est changer de regard sur la vulnérabilité, sur la richesse collective, sur les interdépendances. Dans un monde en mutation, nous avons besoin de protections solides, certes, mais aussi justes, cohérentes et sobres. À nous, assurés et citoyens, de créer cette demande. Et aux structures émergentes, de démontrer que la solidarité peut être le plus puissant des remparts face à l’incertitude.