Quelle place pour l’écologie dans la grille de rentrée de France Inter ?
Extension de la matinale et réduction des programmes environnementaux
France Inter annonce une révolution de sa grille avec l’extension de sa matinale jusqu’à 11h, rebaptisée “La Grande Matinale”. Mais cette expansion s’accompagne paradoxalement d’une réduction drastique de ses programmes dédiés à l’écologie et à l’environnement.
Entre la fin programmée de “CO2 mon amour” et l’amputation de “La Terre au carré”, le service public radiophonique semble tourner le dos aux enjeux environnementaux au moment où ils n’ont jamais été aussi cruciaux.
La nouvelle architecture de la grande matinale
📻 La nouvelle grille de la matinale
Une stratégie d’extension ambitieuse
Cette extension d’une heure supplémentaire s’inscrit dans une stratégie cohérente : après avoir porté la matinale à 9h30 en 2022, puis à 10h en 2023, France Inter franchit un nouveau cap en 2025. L’objectif affiché est de proposer “une offre enrichie en actualité, culture, science et divertissement” et de “rassembler un public encore plus large”.
Benjamin Duhamel, transfuge de BFMTV âgé de 30 ans, incarne cette volonté de rajeunissement. Il assurera l’interview de 7h50 et co-animera le Grand Entretien de 8h20 aux côtés de Nicolas Demorand. Sonia Devillers prendra ensuite le relais de 9h à 11h pour une approche plus “magazine”.
📊 Les chiffres de l’audience La matinale de France Inter rassemble plus de 4,5 millions d’auditeurs quotidiens, confirmant sa position de leader sur cette tranche horaire stratégique.
CO2 mon amour : la fin d’une époque
Parallèlement à cette extension de la matinale, France Inter annonce la fin programmée de “CO2 mon amour” pour la saison 2025/2026. Cette émission dominicale animée par Denis Cheissoux depuis des décennies était devenue une référence en matière de sensibilisation environnementale.
“2025/2026 sera la dernière saison de CO2 notre amour” : cette phrase a provoqué une vive émotion chez les auditeurs fidèles de l’émission.
Denis Cheissoux proposait chaque dimanche une approche poétique et sensible de l’environnement, mêlant rencontres humaines, découvertes naturelles et réflexions écologiques. Son départ marque la fin d’une certaine conception du journalisme environnemental sur France Inter.
Un format unique en son genre
L’émission se distinguait par sa durée (35 à 40 minutes) et son approche narrative. Denis Cheissoux partait régulièrement à la rencontre d’acteurs de terrain : apiculteurs, naturalistes, botanistes, agriculteurs biologiques. Cette approche “de proximité” permettait de rendre concrets et humains les enjeux environnementaux.
Les récents épisodes témoignent de cette richesse : rencontre avec des apiculteurs dans les Hautes-Pyrénées, découverte des grottes de Lozère, exploration des falaises du Luberon avec une grimpeuse, reportage en baie de Somme avec des “chanteurs d’oiseaux”. Autant de formats qui disparaîtront avec l’arrêt de l’émission.
“La Terre au carré” sous le couperet
L’émission quotidienne de Mathieu Vidard subit elle aussi des modifications importantes. Amputée de 15 minutes sur moins d’une heure de programme, “La Terre au carré” perd ses segments les plus engagés et voit son horaire de diffusion modifié.
📊 Les modifications de “La Terre au carré”
Ancienne formule : 14h-15h (60 minutes)
Nouvelle formule : 14h15-15h (45 minutes)
Perte de 15 minutes + décalage horaire défavorable
La suppression des segments militants
Les coupes touchent spécifiquement les segments les plus engagés de l’émission. “La Lutte enchantée”, chronique de Camille Crosnier qui donnait la parole aux mouvements écologistes, disparaît totalement. Les interventions de chroniqueurs militants comme Cyril Dion, Claire Nouvian ou Féris Barkat ne sont plus programmées.
Le répondeur des auditeurs, espace d’expression citoyenne particulièrement apprécié, est également supprimé. Cette interaction directe avec le public permettait de recueillir témoignages, questions et réactions sur les sujets environnementaux traités.
⚠️ Paradoxe d’audience
Ces coupes interviennent alors que “La Terre au carré” enregistre des audiences record avec plus de 850 000 auditeurs quotidiens, devenant “l’émission la plus écoutée de France à cette heure-là”.
France Inter justifie ces modifications par un supposé “manque de lisibilité” de la dernière partie de l’émission. En compensation, Camille Crosnier se voit attribuer une chronique quotidienne de quelques minutes à 6h45 dans la nouvelle grande matinale.
“Secrets d’info” : l’investigation sacrifiée
L’affaiblissement des programmes environnementaux ne se limite pas aux émissions spécialisées. “Secrets d’info”, magazine d’investigation de la cellule Radio France dirigée par Benoît Collombat, pourrait passer d’un rythme hebdomadaire à mensuel.
Un recul démocratique
Cette décision frappe particulièrement le journalisme d’enquête environnementale. “Secrets d’info” a récemment révélé des affaires majeures : pollution par l’hexane dans l’alimentation, pratiques douteuses de l’industrie textile chinoise, conflits d’intérêts dans le cyclisme professionnel.
“Ce changement constitue un affaiblissement clair de la seule émission d’investigation du service public de la radio”
– Lettre ouverte des journalistes de Radio France
Les journalistes de la rédaction dénoncent cette décision dans une lettre ouverte, soulignant que ce recul intervient “à deux ans de la présidentielle et au moment où les enjeux environnementaux n’ont jamais été aussi cruciaux”.
Une stratégie éditoriale questionnée
Ces évolutions soulèvent des interrogations sur la stratégie éditoriale de France Inter. Comment justifier l’extension d’une heure de la matinale tout en réduisant les programmes dédiés à l’urgence climatique ? Cette contradiction apparente révèle peut-être un changement de priorités.
🔍 Les explications officielles
- “Manque de lisibilité” des segments supprimés de “La Terre au carré”
- Volonté de “diversifier les contenus” dans la grande matinale
- Compensation par une chronique quotidienne de Camille Crosnier
- Réallocation du temps d’antenne vers d’autres formats
La tension entre audience et engagement
Cette réorganisation révèle une tension classique dans l’audiovisuel public : comment concilier recherche d’audience et mission de service public ? L’extension de la matinale vise manifestement à capter une audience plus large, tandis que la réduction des programmes écologiques engagés semble répondre à une volonté d’éviter les polémiques.
Certains observateurs y voient une forme d’autocensure face aux critiques récurrentes visant France Inter, accusée par certains milieux politiques d’être une “radio officielle des activistes”. La suppression des chroniques les plus militantes pourrait s’inscrire dans cette logique de “dépassionation” du débat écologique.
La mobilisation des auditeurs
Face à ces évolutions, une mobilisation s’organise. Plus de 12 000 personnes ont signé une pétition pour maintenir “La Terre au carré” dans son format actuel. Des personnalités scientifiques, des journalistes environnementaux et des citoyens s’inquiètent de cette réduction de l’espace médiatique consacré à l’écologie.
📢 Appel des professionnels
“Nous demandons que l’émission de la Terre au carré soit maintenue telle quelle sur France Inter et que la place de l’environnement à Radio France soit assurée”
– Tribune signée par des citoyens, journalistes, scientifiques et militants
Un enjeu de service public
Cette mobilisation pose une question fondamentale sur le rôle du service public audiovisuel. Dans un contexte d’urgence climatique documentée scientifiquement, la réduction des espaces dédiés à la sensibilisation environnementale peut-elle se justifier ?
Les défenseurs de ces émissions soulignent leur rôle éducatif irremplaçable. “CO2 mon amour” et “La Terre au carré” proposaient des formats longs, permettant d’approfondir les sujets complexes que sont les enjeux environnementaux. Leur suppression ou leur réduction ne peut être compensée par de simples chroniques de quelques minutes.
Quel avenir pour l’écologie sur France Inter ?
La grille de rentrée 2025 de France Inter traduit une évolution significative des priorités éditoriales. L’extension de la grande matinale jusqu’à 11h témoigne d’une ambition commerciale légitime, mais sa contrepartie – la réduction des programmes écologiques – interroge sur l’engagement du service public face aux enjeux climatiques.
Cette évolution s’inscrit dans un contexte plus large de tension autour du traitement médiatique de l’écologie. Entre accusations de militantisme et nécessité de sensibilisation, les médias publics naviguent difficilement entre leur mission éducative et les pressions politiques.
🌍 L’enjeu climatique
“Chaque dixième de degré compte” selon le GIEC : cette urgence justifie-t-elle le maintien d’espaces médiatiques dédiés à l’environnement ?
La rentrée 2025 dira si France Inter assume pleinement sa mission de service public ou si elle cède aux pressions d’une dépolitisation de l’écologie. L’avenir de “La Terre au carré” et la succession de “CO2 mon amour” constitueront des indicateurs précieux de cette orientation éditoriale.